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DITES-NOUS : Interviews et témoignages
BRUISSEMENTS
ETRANGERS UNE OBSESSION EUROPEENNE
Par E.Balibar
Crise économique, montée des extrêmes-droites, durcissement des politiques d’immigration, débats publics stigmatisant les réfugiés, les « clandestins », les immigrés, les Roms, les musulmans... au nom d’identités nationales menacées. Sale temps pour les étrangers, fussent-ils citoyens français ou européens. Face à cette vague inquiétante de xénophobie, il s’agit de remettre en question la façon dont nous traçons les frontières entre « nous » et « les autres ».
Qui est « notre » étranger, a-t-il changé au cours du temps, pourquoi est-il de plus en plus considéré comme un ennemi ? Le numéro Télérama Horizons « Etrangers, une obsession européenne » (en kiosque le 27 avril) a convié historiens, philosophes, sociologues, écrivains à répondre. C’est au philosophe Etienne Balibar qu’est revenu la mot de la fin, sous la forme d’une réflexion lucide et salutaire sur l’hospitalité. L’Etranger est un thème cher à l’esprit de ce polyglotte, farouchement européen. Né en 1942, entré au parti communiste (dont il fut exclu en 1981) au moment de la guerre d’Algérie, cet intellectuel pense le monde au présent. Engagé de longue date auprès des sans-papiers, contempteur éclairé de la récente stigmatisation des Roms, Etienne Balibar défend une Europe politique où tout citoyen, étranger compris, aurait enfin le droit de cité.
”Chaque société fabrique son étranger et chacune à sa manière”, écrit le sociologue anglais Zygmunt Bauman que vous aimez citer. A quoi ressemble « notre » étranger ?
Etienne Balibar : La langue française se singularise en ne disposant, pour désigner l’« étranger », que d’un nom, là où l’allemand et l’anglais en ont au moins deux. Ce qui rend certaines distinctions plus difficiles. Par exemple entre celui que l’anglais appelle « foreigner » (qui a une autre nationalité) et le « stranger » (qui est « autre »). On pourrait ajouter « alien » (le radicalement autre, monstrueux souvent), terme qui revêt une certaine importance dans la conjoncture actuelle où l’étranger est souvent présenté comme un ennemi. Quand Bauman dit que toute société fabrique ses propres étrangers, il pense au « stranger », c’est-à-dire celui qui n’est pas immédiatement perçu comme membre de la communauté. Cela pose d’emblée toutes les questions difficiles : qu’est-ce qu’une communauté ? De quel point de vue y a-t-il plus de différences avec ceux qui sont à l’extérieur qu’avec ceux qui sont à l’intérieur ? Quelle est la nature de la frontière qui les sépare ?
Autrement dit, comment ce « stranger » est-il fabriqué ?
Pour autant que l’humanité s’organise en communautés, la représentation que les hommes se font de leurs similitudes et de leurs différences, s’incarne dans une figure d’étrangeté ou « d’étrangèreté ». Elle change sans cesse de contenu mais demeure une constante anthropologique. Pour qu’il y ait un « nous », il faut bien apparemment qu’il y ait des « autres ». Mais cela ne dit pas comment il faut le traiter : par l’hospitalité ou par la guerre. L’étranger est une figure ambivalente, qui cristallise des affects d’attraction et de répulsion, voire de fascination et de détestation.
« Notre » étranger a-t-il changé dans l’époque récente ?
La colonisation et la décolonisation ont bouleversé le statut national et celui de l’étranger. Je me souviens de la façon dont on nous enseignait la géographie dans les années 50. C’était l’époque de « l’Union française » et la décolonisation se faisait dans la douleur. Les instituteurs utilisaient de grands planisphères sur lesquels les régions du monde apparaissaient en fonction de leur appartenance à tel ou tel grand empire colonial. Les territoires « français » étaient coloriés en rose : l’Hexagone (ou la métropole), et puis toute la France d’Outre-mer. La frontière de la France, qui la séparait de l’étranger, était déjà double : vous sortiez de la métropole, ou bien vous sortiez de l’empire français.
L’existence de l’empire avait pour corrélat une double façon d’être recensé comme national. Certains étaient des « citoyens », d’autres des « sujets ». Tous étaient des « nationaux » mais qui n’avaient ni les mêmes droits, ni la même dignité . La décolonisation a mis fin à cette situation en lui en substituant une autre, très étrange, dans laquelle les liens relevant d’une histoire commune sont déniés. Comme si l’ancien colonisé ou colonisateur était un étranger dans le même sens qu’un autre, ce qui n’est pas vrai. Et quand cet ancien colonisé a la mauvaise grâce de vouloir séjourner en France ou de nouer avec les citoyens français des liens fondés pour une part sur cette histoire commune, c’est-à-dire sur des similitudes, on lui renvoie sa différence dans la figure en lui disant : non seulement tu n’es pas comme nous, mais tu es le plus différent de tous. « Foreigner », « stranger » et même « alien » !
La disparition des frontières à l’intérieur de l’Union Européenne ne rend-elle pas aussi un peu plus flottante cette distinction entre le « foreigner » et le « stranger » ?
Je suis persuadé que la bonne santé ou la défaillance des institutions joue un rôle fondamental dans notre rapport à l’étranger. En ce moment, nous assistons à une crise qui met en péril la construction européenne elle-même. Néanmoins il existe officiellement une citoyenneté européenne. Elle a abouti à ce phénomène paradoxal, qui joue lui aussi comme une double frontière ou un double statut de l’étranger : un allemand ou un anglais ou un polonais n’est pas étranger dans le sens où l’est un algérien, un brésilien ou un japonais. La catégorie éclate et il existe donc des étrangers au sens juridique du terme qui sont moins étrangers que d’autres… par conséquent, d’autres qui le sont davantage.
Comment expliquez-vous que les Roms soient traités comme des « étrangers plus étrangers que d’autres » tout en étant juridiquement à l’intérieur de l’espace européen ?
Au cours de l’histoire européenne pluri-séculaire, les roms ou les tziganes ont formé une sorte de communauté à distance, trans-frontières. Avec les Juifs, c’est l’une des grandes minorités discriminées dans toute l’Europe. Malheureusement, la situation évolue en ce sens à nouveau. Et les nouvelles persécutions à l’encontre des Roms, qui ont marqué la politique française en 2010, me semblent devoir être replacées dans l’ensemble européen. Lerappel à l’ordre que la commissaire européenne à la Justice, Viviane Reading, a émis envers la France à ce sujet, et qui lui a valu un déluge d’insultes, était un appel aux Européens pour qu’ils prennent collectivement conscience des terribles dangers d’une dérive raciste dans chacun de leurs Etats-membres.
Les passions xénophobes montent partout à la faveur de nationalismes exacerbés, eux-mêmes symptômes de la crise économique et morale que traverse l’Union européenne en ce moment. Les ingrédients étaient les mêmes dans les années 1930 même si tout n’est pas comparable. Et nous, Français, ne devons surtout pas nous croire immunisés par notre esprit ou nos traditions républicaines. Les politiques racistes visent les immigrés, les musulmanes qui ne s’habillent pas comme il faut… On cherche des boucs émissaires parmi les communautés qui, pour des raisons historiques, semblent symboliser l’altérité inassimilable ou irréductible. La construction européenne en tant que projet démocratique n’est pas seulement fragilisée par ces pratiques, elle est remise en question.
Doit-on en déduire qu’une grande partie de l’opinion est raciste, ou bien qu’on a institutionnalisé le racisme ?
C’est une question très délicate. L’histoire nous a enseigné qu’il ne faut pas sous-estimer la puissance meurtrière des sentiments xénophobes de masse. Toute illusion sur ce point nous empêche d’affronter le problème politiquement. D’un autre côté, je ne crois pas que les peuples soient essentiellement xénophobes. D’autres facteurs sont déterminants. Economiques notamment : le capitalisme mondialisé précipite des fractions croissantes de la classe ouvrière, et de ce qu’on nomme en anglais la « middle-class », dans l’insécurité, le chômage, ou plus généralement dans une condition sociale qui dévalorise les individus à leurs propres yeux, et nourrit du ressentiment. Dans le même temps, l’arrogance des riches, pour qui la crise semble une aubaine, atteint des proportions inouïes. Et aucune force démocratique ne semble pouvoir ou vouloir y faire obstacle. Comment s’étonner que les classes qui votaient à gauche il y a vingt ou quarante ans soient susceptibles de voter FN aujourd’hui ? Il ne faut pas l’accepter mais ce n’est pas en les abreuvant de propagande sur les Droits de l’Homme que l’on renversera la situation.
A cela s’ajoute un autre facteur : je l’ai appelé naguère le syndrome de l’impuissance du tout-puissant. En France, l’Etat et l’administration sont « tout » : ils prétendent protéger les nationaux de problèmes réels ou imaginaires - l’ouverture du marché mondial, les flux migratoires - alors qu’ils n’en ont pas la clef. Chez les citoyens, cette impuissance d’Etat provoque une très profonde angoisse. En réprimant ouvertement des groupes stigmatisés par la race, la nationalité ou la religion, l’Etat procure à une partie de la population au moins le sentiment qu’elle demeure privilégiée, protégée des risques. C’est là que le slogan de « préférence nationale » dévoile toute sa nocivité. Car ce mécanisme engendre l’attente qui l’alimente. Les prétendus « préférés », qui ne voient pas leurs conditions de vie s’améliorer ou leur avenir et celui de leurs enfants se déboucher, ne peuvent que demander plus de préférence, donc plus de discrimination. Et aujourd’hui, cette demande existe, on ne peut pas le nier. Mais elle pourrait être contrée par un véritable projet de citoyenneté sociale, fondé sur les intérêts communs de tous, nationaux ou étrangers.
Vous employez l’expression « prolétaires au sens strict » pour désigner les travailleurs sans-papiers. Que voulez-vous dire ?
C’est un clin d’œil à ma vieille formation marxiste... Ce que Marx voulait dire par ouvriers = prolétaires, c’est que leur situation était caractérisée par le risque permanent de perdre leur place dans la société et leurs moyens de subsistance.
Aujourd’hui la situation a beaucoup changé. Après avoir été réduite en Europe par la conquête des droits sociaux, l’insécurité radicale se recrée autour de nous, sous des formes très éclatées, et sous une double forme. Celle de la migration : nous utilisons en Europe des travailleurs ultra-précaires, les prétendus « clandestins » en sont l’exemple le plus net, l’illégalité de leur statut permettant leur surexploitation. Et celle de la paupérisation transgénérationnelle : un jeune pour qui les chances de trouver du travail et a fortiori une situation stable, sont réduites ou nulles, est aussi un prolétaire. Une des conditions de prospérité du capitalisme est précisément de détruire les statuts fixes et garantis. Au sens strict, le prolétaire est celui qui ne peut pas s’installer, qui campe dans la cité. Certains sont « nomades », d’autres « sédentaires », mais tous sont fondamentalement précarisés.
Peut-on dire alors, en extrapolant, que l’on rend tous les précaires « étrangers » ?
La bourgeoisie qui tenait encore le haut du pavé dans les années 1950, avait des objectifs politiques qui passaient par la construction d’une communauté nationale, ce qui supposait des compromis sociaux et une politique culturelle intégrative. Aujourd’hui, en dépit de la rhétorique nationaliste, les détenteurs du pouvoir ne raisonnent plus ainsi. Les managers et les spéculateurs qui dominent l’Etat ne se soucient plus de négocier un compromis social dans leur propre pays, ils se fichent pas mal que le fossé se creuse entre les niveaux de vie ou que l’éducation de masse tombe en ruines. Ils comptent sur la télévision « berlusconisée » pour fabriquer du consensus. Dans ces conditions, on fabrique des étrangers de l’intérieur, au moins autant qu’on contrôle ceux de l’extérieur. La condition d’étranger se définit de moins en moins par le passeport et de plus en plus par le statut précaire.
Vous appelez à une « régulation démocratique des flux migratoires ». Qu’entendez-vous par là ?
Je ne crois pas à l’utilité de slogans tels que « abolissons les frontières ! » et « liberté de circulation totale ! ». La frontière est, comme l’armée ou la police, une institution non démocratique qui accompagne paradoxalement la souveraineté du peuple. Dès lors, la question cruciale est celle de la nature des contrôles et de qui les exerce. En ce qui concerne la régulation des flux migratoires, il revient à l’Etat ou à des communautés d’Etats de fixer les modalités de franchissement des frontières, mais il faudrait que les intéressés, de part et d’autre de la ligne de démarcation, aient voix au chapitre. Or, les autorités de pays comme la France qui ne pourraient pas vivre sans main-d’œuvre immigrée refusent absolument de discuter avec les Etats africains ou les associations de migrants des modalités d’obtention des visas ou des politiques d’immigration. Il serait pourtant souhaitable d’organiser avec eux un statut du migrant dans le monde de demain. D’autant qu’en fait, les économistes le savent, l’avantage est réciproque, même si l’ajustement des besoins n’est pas automatique. Cela suppose que tous les Etats du monde et leurs opinions publiques prennent conscience de l’intérêt qu’il y aurait à cette coopération, plutôt que d’aller dans le mur des situations d’exception. Voilà ce que j’appelle démocratisation : d’abord la fin de l’unilatéralisme.
Dans l’Europe d’aujourd’hui, peut-on espérer le sursaut d’une citoyenneté active ?
L'exercice de la citoyenneté est mal en point et je n’ai pas de recette miracle. Juste deux idées, encore très abstraites. La première c’est que l’intensité de la participation démocratique n’obéit pas à un principe de vases communicants. Ce n’est pas parce qu’on confèrerait des pouvoirs réels au parlement européen qu’on détruirait la démocratie régionale ou nationale. Au contraire, la citoyenneté se perd ou se gagne partout en même temps. Partout où il y a des pouvoirs, il faut que les citoyens interviennent, non seulement individuellement mais si possible comme opinion publique organisée. Là où il y a de l’Etat, il faut du peuple.
Ma deuxième idée, c’est que la citoyenneté n’est pas quelque chose qu’on vous donne mais se construit collectivement. Et notamment dans les conflits. Notre société est minée par la violence, la défiance et l’antagonisme mais ne sait plus accepter les conflits, les organiser et en négocier les issues. Je crois aussi qu’il existe des formes de citoyenneté active qui consistent à désobéir, comme le font les Français qui aident les immigrés clandestins traqués. Qu’ils appartiennent à des mouvements ou soient simplement des employés, des médecins, des enseignants et des parents d’élèves, ils résistent dans le sens le plus noble et civique du terme. En tant que citoyens, nous leur devons et leur devrons beaucoup. Propos recueillis par Catherine Portevin et Mathilde Blottière.
A lire :
D’Etienne Balibar : Très loin et tout près. Petit conférence sur la frontière (Bayard, 2007), La proposition de l’égaliberté (PUF, 2010).
Télérama Horizons n°4 « Etrangers, une obsession européenne ». 100 p., 7,50€. En kiosque le 27 avril.
C'EST QUOI UNE UTOPIE ?
Par Tatiana Kuhlmann*
C'est un animal ? C'est quelque chose d'irréel C'est une toupie qui roule tout le temps…
[ Evelina interroge sa tante Fabienne qui a été interprète au HCR auprès des migrants arrivant à Hong-Kong]
- Evelina : Une utopie, ça vient du grec « u » qui veut dire « sans » et « topos » qui veut dire « lieu », ça veut dire « sans lieu ». C'est quelque chose qu'il y a dans la tête, qui n’existe nulle part. C'est comme un rêve inaccessible. On parlait des raisons pour lesquelles les migrants ne rentrent pas..
- Fabienne : Pourquoi les gens ne rentrent pas ? Certains ne peuvent pas rentrer chez eux, parce qu'ils sont recherchés par la police pour des raisons diverses, mais il y en a énormément qui ne peuvent pas rentrer chez eux, parce qu'ils ne SONT pas, comme a dit une fois quelqu'un, il m'a dit « Je ne suis pas devenu quelqu'un. Je ne peux pas rentrer maintenant. Quand je serai devenu quelqu'un, je pourrai rentrer. » Cette phrase traduit une réalité très concrète : ils ont vendu leur maison ou tout ce qu'ils ont, et souvent c’est toute une famille ou tout un village qui a mis de l’argent. Et ils sont partis. S’il arrive qu’ ils ne peuvent pas, par exemple, gagner leur vie, envoyer de l'argent et se faire une carrière, ils ne peuvent pas rentrer chez eux, parce qu'en fait, ils ont honte. Il y a la pression des gens à qui ils ont pu emprunter de l'argent, et il y a aussi le fait qu'ils ont honte parce qu'ils n’ont pas réussi. Comme si on leur disait « t'as eu ta chance, t'es parti, et pourquoi t'en n'as rien fait ? »
Il sont partis avec le rêve américain ?
Oui certainement. Et il ne faut pas décevoir. Au point qu'on trouve encore des gens qui sont partis et qui disent « ouais ouais ça va bien ! » et qui envoient un peu d'argent de temps en temps tout en vivant dans une misère épouvantable, mais dans leur pays d’origine très pauvres, cela fait illusion. C’est ce qui entretient cette utopie du « ailleurs c’est facile, il suffit de se baisser pour ramasser l'argent ».
Pourquoi ils partent ?
Pour différentes raisons. Il y en a qui sont persécutés dans leur pays, bon à Hong Kong ce n’est pas la majorité, mais il y en a quand même régulièrement.
Ce sont des gens qui viennent d'où?
De toute l'Asie : des Pakistanais, des Bengalis, des Indiens, essentiellement. Et parmi les Pakistanais, on trouve les Ahmadis. Les Ahmadis, c'est une sorte de secte musulmane, rejetée par les musulmans intégristes, donc persécutés. Il y a aussi des gens qui viennent d'Afghanistan, et des gens qui viennent d'Iran.
Et tous ces gens-là, ils viennent tous clandestinement, ou... ?
Ceux qui arrivent d’Afrique par bateau, mais il y en a très peu. Il y en a qui arrivent normalement avec un visa de touriste et qui ensuite restent comme demandeurs d'asile. Il y en a qui vont en Chine, et qui ensuite passent en fraude à Hong Kong. Oui, la plupart arrivent par avion maintenant. Il faut savoir qu’il y a des gens qui quittent leur pays en urgence, parce qu'ils sont persécutés par la police, ou persécutés pour des raisons politiques ou religieuses, ou parfois parce qu'ils ont commis un crime et ils ont la police derrière. Il y en a qui avaient leur passeport dans la poche et il y en a qui ne l'avaient pas et qui, parfois, passent par le pays d’à côté pour magouiller et réussir à monter dans un avion…Il y en a qui vont directement à l'immigration en disant « j'ai pas de papiers, mon passeport est faux... » et qui demandent immédiatement l'asile. Tu as des gens qui viennent et qui rentrent avec des papiers en règle, comme des touristes par exemple, qui ont obtenu un visa de touriste et qui rentrent en règle, et qui restent après sur place...
Ils deviennent des sans-papiers …
Exactement. Il y a aussi des gens qui arrivent avec des papiers qui sont manifestement faux , et qui seront attrapés à la frontière. Et il y a aussi quelques personnes qui vont en Chine et qui passent la frontière entre la Chine et Hong Kong - quelquefois en fraude, ou alors qui passent la frontière Hong Kong/Chine très très régulièrement, de façon tout à fait... légale. Pour venir à Hong Kong, il faut avoir de l'argent. Si tu es au Mali, par exemple, et que tu es dans une situation épouvantable au Mali, tu vas prendre un bus pour aller en Côte d'Ivoire, ou au Ghana. Tu vas passer la frontière en fraude, tu n'auras pas de papiers. Mais pour prendre l'avion jusqu'à Hong Kong, il faut déjà avoir soit de très bons contacts, soit une certaine fortune.
Soit de très bons faux papiers.
Oui. Tu as deux sortes de faux passeport. Tu as le vrai faux passeport si tu veux, et tu as le faux vrai passeport qui appartient à quelqu'un d'autre et dont on change la photo ou... Et puis il y en a beaucoup qui viennent surtout avec des passeurs.
Oui. Et alors du coup, avec les passeurs ils passent par où ? À partir de la Chine ou... ?
Enfin ce qu'on appelle un passeur, c'est des gens... Tu as aussi des gens qui... comment dire... des gens à qui on vend un procédé, « tu arrives à Hong Kong, là tu demandes le statut de réfugié, et puis dans six mois t'es au Canada et là tu fais venir ta famille. Au HCR, t'as qu'à leur dire ça, ça, ça et ça ».
Et en fait, que se passe-t-il ?
On te dit « C'est bien, mais faudra revenir pour une interview plus longue ». ça peut durer quatre heures jusqu’à deux jours, deux jours et demi…et là, on te demande des détails !
Et il y a beaucoup de gens qui arrivent justement à obtenir ce statut de réfugié ?
Très peu. À Hong Kong très peu.
En pourcentage, c'est un tout petit pourcentage ?
Tout petit pourcentage.
Parce qu'il y a beaucoup de fausse démarche ou… ?
Parce qu'en fait, pour être reconnu comme réfugié par le HCR, il y a des conditions... le HCR est régi, si tu veux, par la convention de Genève de 1951, c'est-à-dire qu'un réfugié c'est une personne qui ne peut pas rentrer dans son pays parce qu'il a une peur fondée de persécutions pour des raisons de race, de nationalité, d'opinion politique, d'opinion religieuse ou pour son appartenance à un groupe social particulier. Donc si tu es de la mauvaise religion, par exemple si tu es Ahmadi au Pakistan, ou chrétien en Somalie ou homosexuel en Égypte... Dans la mesure où ce sont des gens qui se font immédiatement arrêtés et emprisonnés, tu peux avoir le statut de réfugié avec ça. Mais la convention de Genève ne couvre pas, par exemple, les migrants de la faim, de la misère, à ceux-là, on leur dit « ça ne fait pas de vous un réfugié » … À Hong Kong, la situation est très très ambiguë.
Parce que les gens qui arrivent à Hong Kong en fait, c'est dans l'objectif de rester sur Hong Kong ou de repartir, comme tu disais tout à l'heure, au Canada ou ailleurs ?
Il y a des gens qui viennent à Hong Kong, je ne parle pas des véritables réfugiés, une minorité bien présente qui est là pour faire du business. Ils viennent avec un visa de touriste de 15 jours (si tu viens d'Afrique par exemple). Mais eux ils veulent pouvoir rester à Hong Kong plusieurs mois, voire quelques années, pour acheter et vendre, et envoyer des marchandises en Afrique ou au Pakistan. Donc il y en a qui profitent du système, et c’est un nombre quand même important.
Système économique? système social ?
Quand je dis système, je pense au statut de demandeur d’asile, qui peut les protéger longtemps d’une expulsion.
Combien de temps ça prend pour régler un dossier ? Six mois, un an ?
Il y en a qui mettent des années. Donc si tu veux, quand je dis profiter du système, il s’agit du système administratif. Il te donne la possibilité de rester. Tu n'as pas le droit de travailler, mais...
Et quand ils sont à Hong Kong, on va dire les vrais demandeurs d'asile, qui quittent leur pays en urgence et… où est-ce qu'ils logent ?
Ça dépend. Il y a eu un moment où le HCR fournissait des chambres d'hôtel et puis après il y a eu tellement de monde qu’ils ne pouvaient plus fournir. Et puis il y a eu une époque où des gens dormaient dans la rue. Et puis maintenant, ça fait déjà quelques années, que le gouvernement donne une assistance…ils payent le loyer d'une chambre, et ils donnent une assistance en nourriture, les enfants vont à l'école, tout est payé…
Et il y a beaucoup de gens qui sont expulsables, mais qui se planquent ?
Oui. Il y en a oui. Et puis il y en a qui se marient. Il y a vraiment tous les cas de figure.
Et quand ils arrivent, j'imagine qu'ils n'ont pas beaucoup de bagages ?
Ça dépend. Pas beaucoup non. Pas énormément de bagages.
Et ces gens-là quand ils arrivent, ils sont dans quel état émotionnel ? En général.
Il y a vraiment de tout, de tout. Des aventuriers qui savent exactement ce qu'ils font. Des hommes d'affaires qui sont déjà venus un peu à Hong Kong et qui se disent « tiens, comme ça, ça nous permettra de rester ». Des gens qui ont absolument tout quitté en catastrophe et qui restent très secoués. Des gens complètement traumatisés. Des gens qui n'ont jamais vu un gratte-ciel ou un escalier roulant de leur vie. Donc il y a vraiment de tout, de tout. Des gens aussi qui sont nerveux, tendus, parce qu'en fait ils ont joué ce coup de poker qui est « je pars à Hong Kong, je vais demander le statut de réfugié et ma vie va changer ».
Cette espèce d'espoir... et d'utopie...
…certains viennent tout seul et n'ont pas de famille. Donc ils n’ont personne à qui parler vraiment, personne qui les embrasse ou leur dise bonjour, personne qui parle leur langue. Et ça, je pense que c'est beaucoup plus minant qu'on ne pense...
L'anonymat, en fait.
Oui. L'anonymat et l’éloignement.
Et chez les Hong-Kongais, est-ce qu'il y a des réactions de défiance vis-à-vis des réfugiés ?
Euh... non, pas vraiment. D'abord... quand je suis arrivée à Hong Kong il y a trente ans, il y avait très peu de noirs…Certains élèves de l'Alliance française pensaient que les Africains habitent dans les arbres... Maintenant, ça a considérablement changé.
Toi, tu intervenais au HCR en tant qu'interprète pour les Africains en fait ?
Interprète pour les francophones, et pendant longtemps je m'occupais de la gestion et de la distribution de l'assistance matérielle, genre vêtements, affaires de toilette, etc.
Est-ce que 4m2, ça peut te faire penser à quelque chose ?
4m2, ça fait 2m sur 2... une cellule de prison.
Il y en a beaucoup qui vont en prison ?
À Hong Kong ?
Oui.
À Hong Kong, tu as deux sortes de détenus... ceux qui vont à la prison de l'immigration, parce que le temps de régler leurs papiers quand ils sont en faux papiers, ils sont généralement incarcérés à la prison de l'immigration le temps de régler les papiers. Et puis sinon, tu as ceux qui se font incarcérés parce qu'ils ont commis des délits.
Parce que en France, il y a les centres de rétention.
Ça revient à peu près à la même chose. Si tu veux, si tu approches l'immigration en disant « voilà, mon visa de touriste a expiré hier et je demande l'asile pour telle et tellle raison », si tu es venu avec un vrai passeport, tu risques d'être incarcéré quelques jours, mais vraiment quelques jours, le temps qu'ils vérifient tous les papiers.
Et c'est des cellules de prison ?
C'est des dortoirs je crois.
Ils sont tout seuls ou ils sont plusieurs ?
Non, ils sont plusieurs, ils sont plusieurs...
Les conditions sont pas trop... sont correctes ? Je sais pas comment sont les prisons à Hong Kong.
À Hong Kong, je pense que les conditions sont correctes. Moi, j'ai rencontré des gens qui ont fait de la prison... qui étaient en prison à Hong Kong et qu'on interviewait, là pas avec le HCR mais dans le cadre d'interviews avec des avocats, pour leur procès par exemple, et qui te disent « oh non la prison à Hong Kong, c'est mieux qu'en France ». Je pense que, sans remettre en question la justification ou pas du fait qu'ils soient emprisonnés, je pense que les conditions sont OK. Mais je te dis, ça remet pas... ça prend pas en compte la justification de mettre en prison des gens qui ont des papiers en règle... enfin des papiers en règle, non, puisque c'est quand le visa a expiré.
Oui, parce que mettre des gens en prison uniquement parce que leur passeport n'est plus à jour...
Alors si tu veux, si tu as un vrai passeport... si tu vas voir l'immigration et si tu essayes de prolonger ton visa, souvent dans ces cas-là ils ne le font pas... donc le jour où ton visa a expiré, tu te présentes à l'immigration « voilà, mon visa a expiré, mais pour telle et telle raison je voudrais demander l'asile », donc à ce moment-là, si tu as des vrais papiers, ils risquent de te garder quelques jours, mais après c'est clarifié et on te donne un papier spécial qu'on appelle un « recognition » qui te permet de rester légalement à Hong Kong





